Du bon usage de ses privilèges

Alors, cette semaine, le Washington Post a sorti un compte rendu d’un panel organisé pour le 20e anniversaire de la sortie de Wag the Dog (un des meilleurs films sur l’influence des médias sur la politique, sinon le meilleur) animé par John Oliver. Oliver, homme de controverses gauchistes s’il en est un, a profité de l’occasion pour aborder avec Dustin Hoffman les accusations d’attouchements inappropriés qui ont été faites à son encontre. Et le panel a viré au vinaigre.

Et moi qui adorais déjà John Oliver, je suis à la veille de fonder une religion sur lui.

Ah, non, c’est vrai, John Oliver a déjà son église…

Ok, un peu de contexte sur Oliver avant de s’attarder à pourquoi je suis absolument extatique qu’il ait rendu tout le panel de Wag the Dog mal à l’aise.

John Oliver est britannique, il habite les USA depuis 2006 et a commencé à se faire connaître comme chroniqueur au Daily Show de John Stewart (une émission de nouvelles satirique à la « This hour has 22 minutes » ou « La fin du monde est à 7 heures »). Il a ensuite commencé sa propre émission d’info satirique, l’hebdomadaire « Last week tonight » diffusée à HBO les dimanche soirs. (oh yeah, juste après Game of Thrones, baby!) Bref, c’est un genre de Jean-René Dufort, mais en encore plus nerd.

Last Week Tonight est une émission fucking géniale. John Oliver n’a aucune retenue, son humour absurde et sa tendance à se foutre royalement des figures d’autorités sont absolument jouissifs. C’est un fou du roi dans le sens le plus pur et traditionnel du terme: il ridiculise l’autorité et défend le peuple. Il fait des « stunts » superbes pour se moquer de la logique bizarre des gens au pouvoir et tous ses sujets sont recherchés en profondeur et sur une longue période, ce que la formule hebdomadaire lui permet. Il a, entre autres :

–          Créé légalement sa propre église en août 2015, Our Lady of the Perpetual Exemption (Notre-Dame de l’Exemption Perpetuelle), pour ridiculiser les prédicateurs américains et le « seed preaching », doctrine disant que si vous donnez des graines à Dieu (sous forme de dons à l’église) celui-ci les planteras pour vous et vous récolterez l’abondance. C’est une croyance répandue dans les milieux protestants, surtout ceux qui croient à la prédestination, l’idée selon laquelle le succès est une preuve de l’amour de Dieu. Bref, plus tu es riche, plus tu es aimé par Dieu.
Et dire que Martin Luther s’est éloigné de l’Église Catholique à cause de sa corruption…
L’idée était de démontrer à quel point il est facile de créer légalement une organisation qui serait reconnue comme religieuse par les impôts américains et donc exemptes de taxes. L’église a officiellement fermé ses portes en septembre 2015. À noter que tous les dons amassés par Our Lady ont été redistribués à Médecin sans frontières, mais je ne sais pas s’il a donné aussi les sacs de graines que les gens qui ont pris l’expression « sending seeds » au mot ont envoyés …

–          Offert de payer une amende de 5 000 dollars pour ingérence dans une élection canadienne pour avoir le droit de rire de Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau lors de la dernière élection et dire aux canadiens de ne pas voter pour Harper. Avec l’aide d’un Mike Myers déguisé en police montée, parce que Canada, tsé. (Élection Canada n’a pas exigé le paiement de l’amende, puisqu’Oliver n’a pas offert de compensation en échange de votes contre Harper.)

–          Créé sa propre compagnie de collection et racheté, au coût de 60 000$ les droits de collection de dettes médicales de 9 000 personnes (qui s’élevaient à un montant de 15 millions de dollars) et les a toutes pardonnées, ce qui fait qu’il a battu Oprah Winfrey comme animateur de talk show le plus généreux.

–          Voyagé jusqu’en Russie pour aller rencontrer Edward Snowden pour s’assurer qu’il n’était pas le « gars de wikileaks » et se faire expliquer comment la NSA pouvait avoir accès aux photos de pénis sur les téléphones et ordinateurs des citoyens américains. En utilisant les photos de pénis comme exemple, il essayait de faire comprendre à ses téléspectateurs l’étendue de l’ingérence dans la vie privée des gens de l’agence américaine de renseignement. « Do you want the NSA to look at your dick pics? »

–          Créé la mascotte Jeff, le poumon malade et le hashtag, oh pardon, le mot-clic, #JeffWeCan lors d’un segment sur l’industrie du tabac.

–          Rappelé au monde entier que le nom Trump n’existe que depuis 4 générations et que la famille s’appelait à l’origine Drumpf et parti le slogan « make Donald Drumpf again ».

–          Fait royalement chier Bob Murray, un trou de cul de première, qui dirige des mines de charbon avec des conditions de travail risqués et qui, à plusieurs reprises, a cherché à camoufler des accidents de travail. Murray est connu pour avoir l’épiderme sensible et a immédiatement poursuivi HBO et Oliver pour diffamation, ce à quoi ils ont répondu « come at me bro. » L’ACLU a déposé un avis légal très cynique dans la poursuite et si vous lisez l’anglais, je vous recommande de le lire en entier, c’est un pur bijou de bitch poli et légal.

Bref, John Oliver brasse beaucoup de matière fécale, et il le fait avec humour et brio.

Oliver est très ouvertement gauchiste et féministe, sans aller dans le prosélytisme. Donc, bien sûr que les scandales de Weinstein ont eu leur moment sur son show. Mais cette semaine, il a décidé d’emmener ses convictions en dehors du cadre de son émission et d’affronter de face un monstre sacré du cinéma.

La question n’est pas ici de comparer la gravité des actes reprochés à Hoffman avec ceux d’un Harvey Weinstein. Hoffman est accusé d’avoir tripoté des actrices et employées de studio et d’avoir flirté avec des filles de 17 ans alors qu’il était en position d’autorité. Ce qui n’en fait pas un violeur, mais peut le mettre fermement dans la catégorie des mononc-avec-un-c-pour-creepster. Il n’est pas non plus question d’exiler Hoffman d’Hollywood avec goudron et plumes.

La question est plutôt de ne pas pousser sous le tapis des comportement inappropriés sous prétexte qu’ils ont eu lieu il y a longtemps, qu’ils n’étaient techniquement pas illégaux ou qu’ils n’étaient pas violents. La question est de ne plus laisser passer des fausses excuses « je suis désolé si mon comportement a pu vous offenser ». Ce si est très éloquent (c’est une traduction exacte dans le cas d’Hoffman, qui a utilisé « if I offended »). Non, dude, ce que tu as fait n’est pas correct, qu’on soit offensé ou non. Non dude, on ne pense pas que toutes ces femmes ont menti. Il n’est plus question de croire au mythe de la fille méchante qui essaie de se faire du capital de sympathie sur le dos d’une vedette. Pas quand il y a 5 accusatrices ou plus. Come on!

Hoffman a donné des faibles arguments  et les questions offensées classiques et Oliver a répondu du tac au tac. Lorsqu’Hoffman a insinué qu’Oliver croyait les femmes et pas lui, Oliver a répondu « Oui. Je crois la parole de ces femmes plutôt que la vôtre. Pour une raison toute simple, elles n’ont absolument rien à gagner en dénonçant. Vous n’avez rien fait d’illégal, elles ne peuvent pas vous poursuivre, et l’histoire nous indique clairement qu’aucune femme n’a réussi à faire avancer sa carrière en dénonçant, peu importe ce que les prédateurs essaient de faire croire. Au contraire, les exemples de femmes qui ont dénoncé des actes inappropriés et qui ont vu leur carrière s’éteindre automatiquement sont tellement nombreux qu’il serait impossible d’en faire une liste. On ne parle pas d’une seule parole contre la vôtre ici. Je crois les victimes, il faut les croire et il faut déclarer publiquement qu’on les croit. Ça suffit.»

Oliver a aussi mentionné qu’il a hésité avant d’aborder le sujet à ce panel. Est-ce que le moment est approprié? Est-ce qu’il devrait se taire et se contenter de parler du film? Il a décidé que non, il ne devait pas se taire. Il ne voulait pas rester éveillé ce soir-là et se demander à quoi ça sert de rester silencieux, le silence ne sert qu’à faire croire aux mononc et aux agresseurs que leur gestes n’étaient pas graves et qu’ils peuvent continuer à taponner tout le monde sans conséquences. Il a décidé de pratiquer ce qu’il prêche à la télé et sur scène depuis plus d’une décennie.

Encore une fois, il n’est pas question ici de mettre le feu aux effigies de Dustin Hoffman ou de scraper toutes les copies de Rain Man en existence (quoique je n’aie plus aucune envie de revoir Kramer vs Kramer après avoir appris la torture psychologique qu’il a infligé à Meryl Streep sur le plateau de tournage), ou d’exiger de lui qu’il porte un silice et une croix en publique, mais de ne pas laisser passer les fausses excuses et de ne plus agir comme si ça ne nous concernait pas.

Les femmes peuvent passer des années (et ont passé des années) à dire que ce genre de comportement est répandu et inacceptable, mais tant que le public et des gens influents de la trempe d’Oliver ne décideront pas que « le bon moment pour parler de ça » c’est maintenant et c’est pour toujours, rien n’avancera. Oliver a compris le privilège de sa position, il a compris l’utilité de ce privilège pour parler d’égal à égal avec un homme puissant de l’industrie au nom des victimes, et il nous faut plus d’hommes comme lui.

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